Que faire du silence en thérapie ? - Anaïs Kustler

Episode 1 : Que faire du silence en thérapie ?

silence thérapie

Retranscription de l'épisode

Est-ce que t’es à l’aise avec le silence dans ta vie quotidienne, mais aussi dans tes séances ?

Parce qu’en fait, ça peut être un super outil thérapeutique, le silence.

C’est juste qu’il faut savoir l’utiliser et il faut savoir différencier les types de silences, parce qu’on est d’accord qu’il y a des silences qui sont super gênants. Et c’est pas la peine de les prolonger. Il y a aussi des silences qui sont angoissants.

Je vais te raconter mon expérience, la première fois que je suis allée voir un psy.

J’étais à la fac et c’était les séances gratuites avec le psy de la fac. La première séance était super, j’ai raconté plein de choses.

La deuxième séance, j’arrive et en fait, je peux pas parler. Il m’a pas donné l’autorisation de parler. C’est bizarre ça, y’a pas besoin d’autorisation, je suis là pour ça ! Ouais, mais en fait, si.

J’avais besoin d’une autorisation formelle, y’a une partie de moi qui était complètement bloquée et qui disait « Tant que tu n’as pas l’autorisation, tu ne parles pas. » Et y’a une autre partie qui disait « Mais enfin, c’est n’importe quoi, bien sûr que t’es là pour parler, c’est le lieu, c’est ton espace. Arrête tes bêtises, ouvre la bouche et parle. »

Et c’est comme si mes lèvres étaient scellées, cousues ensemble et que les mots, ils pouvaient pas sortir alors que j’en avais très envie.

Tsé ce qu’il a fait, ce psy ? Il m’a laissée dans mon silence toute la séance et même celle d’après. C’était terrible.

C’était affreux parce qu’il y avait cette colère et cette bataille à l’intérieur de moi, et purée… Je vais être polie, mais c’est pas trop les mots que j’ai utilisé cette fois là.

Mais t’es concombre ou quoi ? Dis le, parle, raconte les choses.

Mais j’y arrivais pas.

Et honnêtement, y’a absolument zéro intérêt thérapeutique à laisser ta cliente dans un silence pareil.

Non, vraiment. Ça m’a pas fait de bien.

Alors, on peut se dire, si elle revient, c’est bien que…

En fait, si je revenais, c’est que j’avais cet espoir que ça change la fois d’après, que j’arrive à parler, mais j’y arrivais toujours pas. Je sais plus exactement comment ça s’est terminé.

J’ai fini par parler, mais j’ai perdu beaucoup de temps et lui aussi parce que vraiment, ça a servi à rien.

C’était franchement pas agréable.

Heureusement, je suis persévérante et je savais bien que j’avais des choses à régler. J’avais envie de les régler. Donc, j’ai continué. Je suis allée voir quelqu’un d’autre.

Mais laisse pas ta cliente dans un silence aussi angoissant.

Ça veut pas dire n’utilise jamais le silence.

Parce que là, c’est ce qu’on appelle, c’est ce qu’Heidi Levitt, dans son article « Sounds of Silence in Psychotherapy: The Categorization of Clients’ Pauses », appelle les silences non productifs, qui vont pas apporter grand chose et certainement pas de positif à la séance.

C’est pas des silences utiles. Tu veux pas les garder ceux là.

Quand t’as une personne qui souffre d‘anxiété, c’est pas une très bonne idée de la laisser dans ce type de silence. Enfin, en silence tout court en général.

Pareil pour une personne qui est en colère. Quand tu es en colère, t’as pas trop envie d’avoir un silence radio en face.

Je me souviens, mon grand père, il réagissait comme ça quand je partais en colère. Quand je me mettais en colère, il disait rien. Poker face, une statue, rien en face de moi. Je peux te dire que ça faisait pas baisser la pression ! Ça la faisait monter encore plus et c’était affreux.

Quand t’as quelqu’un qui est angoissé, qui est en colère, mais aussi une personne qui a vécu des traumas et des traumas type négligence où on l’a ignoré, où on l’a laissé seul dans le silence, évite aussi le silence. Mais ça, tu vas le repérer facilement. Tu vas le voir au non-verbal.

Parce que les silences productifs, eux, ils sont super intéressants, ils sont nécessaires.

Par exemple, un silence productif, c’est le silence émotionnel.

C’est quand ta cliente, elle dit quelque chose ou que tu lui dis quelque chose qui fait que l’émotion vient d’un coup, qu’elle prend toute la place. Une émotion de tristesse, de colère, et tu la laisses vivre son émotion.

Je dis de colère, mais c’est pas pareil si elle est en colère contre toi ou si elle repense à un événement qui lui est arrivé et qu’elle a la colère qui monte par rapport à l’événement, par rapport à la personne. C’est pas tout à fait la même chose. C’est pas qu’elle est en colère à ce moment-là, c’est qu’elle est en train de vivre son émotion de colère.

Et elle a besoin de ce moment d’introspection, de silence pour être en contact avec elle-même, pour que dans cet instant, elle sache ce qui se passe à l’intérieur d’elle.

Toi, t’es là, en face, t’es juste un témoin silencieux de la transformation qui est en train d’arriver.

T’es peut-être pas à l’aise avec le silence, c’est pas forcément facile de rester silencieuse comme ça.

Ce que je te recommande de faire, tout simplement, c’est de dire des mots encourageants à ta cliente, mais dans ta tête.

Tu vois, de lui laisser l’espace du silence, de lui offrir ce cadeau et en même temps, toi, d’être active à l’intérieur. Parce que si tu penses à ta liste de courses, en fait, ça va pô l’faire.

Y’a besoin que tu sois vraiment présente, que tu sois une vraie présence dans ton non-verbal.

Le meilleur moyen de le faire, c’est de te répéter des mots d’encouragement comme si tu les lui disais à elle. Du style « C’est bien »,« Laissez l’émotion sortir », « Prenez votre temps »,tu vois des choses comme ça. « C’est normal qu’il y ait de la colère. Vivez votre colère. Ressentez la dans votre corps. »

C’est aussi des choses que tu peux dire quand le silence se prolonge, parce que ça se fait pas socialement.

Le silence dans une conversation, c’est plutôt mal vu. On a besoin de remplir les conversations. La personne peut se sentir mal à l’aise de garder le silence et en même temps, ne pas savoir quoi dire. Toi, tu peux, à un moment, donner ces petits mots d’encouragement.

« Prenez votre temps. Laissez vivre ce que vous avez à vivre. » Ça, c’est des choses que tu peux dire. Tu peux les dire tout au début, quand l’émotion arrive ou quand ça se prolonge, pour qu’elle se sente à l’aise de garder ce moment là pour elle.

Tu peux aussi, après, une fois que c’est passé, lui demander si c’était OK pour elle, si la laisser dans ce silence, c’était OK. Peut être qu’elle te répondra oui. Peut être que c’était un peu angoissant pour elle et qu’elle s’est sentie seule.

Ok. La prochaine fois, tu feras autrement.

Si tu demandes pas le feedback, c’est un peu compliqué de juste deviner et interpréter.

Mais je t’assure qu’un silence émotionnel, c’est important.

Je l’ai vécu plein de fois en séance avec mes clientes, de ces moments où il y a l’émotion qui arrive et tu la vois presque qui est en train de monter.

C’est un cadeau que tu lui fais, de lui permettre d’expérimenter ça toute seule à l’intérieur d’elle.

Il y a aussi le silence réflectif. C’est quand ton client, il est en train de réaliser quelque chose. Tu lui as montré un truc qui a fait le déclic, tu lui as fait une super technique d’impact, une super séance.

Il y a le déclic, quelque chose qui est en train de se passer là, dans son cerveau, ou lui, en te parlant, il vient de réaliser un truc super important. Et donc il est en pleine introspection.

Là, c’est pareil. Laisse-le réfléchir. Laisse-le dans son silence introspectif. En général, les gens, quand ils font ça, ils te regardent pas. Ils regardent au sol, ils regardent ailleurs.

Laisse-le remettre en place ses petits rouages dans le cerveau. Ça, c’est des silences que j’aime bien aussi parce que moi, je les vois, en fait, les rouages.

J’ai cette image de ces petits engrenages qui se sont dégrippés, et qui carburent, y’a quelque chose de super qui va en sortir.

Mais si tu interromps cette réflexion en parlant d’autre chose, en parlant, tout simplement, cette introspection, elle risque de s’arrêter et elle va pas forcément redémarrer.

Laisse du silence.

C’est pareil, si ça se prolonge, si tu trouves que c’est trop long, dis des choses comme « Prenez votre temps. Je vois que vous êtes en train de réfléchir, que vous êtes en train de comprendre des choses importantes pour vous. Je vous laisse du temps en silence. Faites moi signe quand vous avez besoin de moi, si vous avez besoin de moi. »

Tu vois ? Juste une petite touche pour dire « T’inquiète pas, tu peux rester dix minutes en silence à activer tes rouages. C’est pas un problème. »

Parce qu’encore une fois, ça se fait pas en société. Quand t’es là avec des amis, ça se fait pas de laisser un blanc dans la conversation comme ça.

Mais c’est thérapeutique et ça va être super important.

Dans les silences productifs, t’as aussi le silence expressif qui est plutôt « je cherche le mot le plus juste ». Tu vois, je suis en train de réfléchir et j’ai un blanc parce que je veux te donner le mot parfait pour illustrer ce que je ressens. C’est pareil, laisse ta cliente dans ce silence-là, c’est mieux pour elle.

Si ça se prolonge, tu peux l’aider.

Tu as les silences neutres aussi, mais c’est ceux qui vont faire les pauses mnésiques, c’est à dire j’essaie de me rappeler un détail.

« Ça se passait le 14 février. Non, attendez, c’est pas possible. C’était le 10 février. Non, c’était le 11. « 

C’est bien de laisser les personnes réfléchir. C’est important pour elles de donner les détails.

Y’a les silences associatifs qui font changer de sujet. Ça, c’est intéressant parce que ça peut être une fuite.

« Y’a quelque chose, j’ai dit quelque chose d’important et en fait… Vous savez pas ce qui m’est arrivé la semaine dernière ? Je vous ai pas dit… »

Des fois, c’est bien parce que ça t’amène au vrai truc important. Des fois, c’est un changement de sujet pour faire de l’évitement. Mais c’est pas le sujet de cet épisode.

Par contre, dans les silences non productifs, il y a les silences désengagés. C’est un peu ce qui m’est arrivé là, moi, avec le premier psy que j’ai vu. C’était un silence plutôt désengagé, pétri de honte, de gêne, de « j’y arrive pas, je peux pas, j’ai pas l’autorisation. » Et ça, c’est pas du tout du tout tout bon.

On laisse pas des silences comme ça.

Il peut y avoir aussi des silences interactionnels du type « Ta cliente, elle a pas compris ce que tu lui as dit. »

Donc elle s’arrête, elle essaie de comprendre ce que tu lui as dit, mais c’est pas clair du tout. Ça aussi, ce n’est pas super productif parce que c’est pas agréable quand tu comprends pas la personne et en plus, ça peut amener à de mauvaises interprétations de ce que tu as dit. Mais ça se voit, c’est de la confusion en fait

Dans ce silence interactionnel, t’as aussi le silence qui est « Je viens de dire à ma thérapeute un truc qui craint. Genre, je sais pas, que j’aime pas son cabinet. J’aurais jamais dû dire ça, elle va plus m’aimer. OMG, comment je peux sauver les choses ? »

Ce silence presque paniqué de « Il faut que je recrée le lien. Il faut pas que ma thérapeute me rejette. » Ça non plus, tu laisses pas ce genre de silence, mais ça fera sûrement l’objet d’un autre épisode de podcast. Comment tu réagis quand ta cliente te critique ?

En tout cas, ce qui est clair, c’est que c’est pas en laissant le silence s’installer que ça va arranger les chose, c’est plutôt en étant transparente.

Christèle Richard et Ueli Kramer ont écrit un article sur le silence thérapeutique dans la dépression et ils ont relevé plusieurs éléments.

Le silence, il permet la guérison. Il permet aussi la concentration, le temps pour retrouver ses souvenirs.

Mais le silence, ça va être aussi une manière d’éviter la douleur, de dire « Je veux pas aller là. Je veux pas. Je veux pas toucher à ce morceau là, c’est douloureux. Non, non, j’évite. » Ça permet aussi de se concentrer et d’intégrer les métaphores.

Le silence a plein de vertus quand tu sais bien l’utiliser. Mais c’est pas facile, comme je te l’ai dit plusieurs fois, en société, ça se fait pas trop de laisser du silence, donc on est souvent naturellement assez mal à l’aise avec ce silence.

Du coup, je te propose un exercice pour être un peu plus à l’aise. C’est un exercice que j’ai fait dans une formation en hypnose sur la voix pour mieux utiliser sa voix hypnotique et c’était animé par une orthophoniste.

Il est assez simple. Tu te mets en binôme, donc tu prends quelqu’un que tu aimes bien et vous allez chacun avoir un texte.

Tu vas lire une phrase de ce texte ou une partie de la phrase si elle est longue. Quand tu as fini de lire, tu t’arrêtes, tu regardes la personne et tu dis rien pendant quelques secondes, trois, cinq secondes. Puis, tu lis la phrase suivante. Et à chaque phrase ou chaque moitié de phrase, tu t’arrêtes et tu laisses une pause en silence.

Et après, prends pas un texte trop long, c’est l’inverse, c’est la personne en face de toi qui va faire l’exercice. Comme ça, tu vis le silence des deux côtés et tu apprends à t’y habituer.

Je trouve que c’est un bon exercice pour apprivoiser le silence. J’espère que ce premier épisode t’a plu et que Moelleux et Pétillant va t’aider à améliorer ta pratique.

À très vite !

Retour en haut