J’aime pas la CNV. - Anaïs Kustler

J’aime pas la CNV.

anais pas contente

Ouf, voilà, enfin c’est dit. J’me sens soulagée ! Parce que je le pense très fort depuis un moment, mais j’ose pas trop le dire, y’a un genre de culte autour de la CNV.

Disclaimer : j’ai jamais suivi de formations en CNV, je me suis formée en RE, Relationship Enhancement, une méthode qui s’en rapproche, mais qui travaille davantage l’empathie. Elle me plaisait, mais au final je trouve aussi qu’elle a pas mal de limites.

J’ai des collègues qui pratiquent la CNV et je leur en veux pas 😁, même que je respecte leur travail ! Tu vas voir que ce que je reproche surtout à la CNV, c’est le fait que pas mal de ses partisans clament haut et fort que c’est efficace et utile pour absolument tout, du conflit israélo-palestinien (je l’invente pas) au conflit dans les couples, pour absolument tout le monde.

Si tu me suis, tu sais que j’aime mettre de la nuance.

Bon, c’est bien joli de dire qu’on aime pas, mais c’est mieux si on s’explique, non ? D’abord, de quoi je parle ?

C'est quoi la CNV ?

La Communication Non Violente est une méthode inventée par Marshall Rosenberg, dans laquelle on te demande de parler en “Je”, d’écouter l’autre, d’être en empathie, d’exprimer tes besoins. C’est un très court résumé, tu trouveras plus d’infos en fouillant sur le net.

Déjà, le nom.

Tsé, quand tu utilises le mot “violente”, même avec un “non” juste avant, ton cerveau il pense “violence”. Le principe de la CNV, c’est que « les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs” (titre d’un livre de Marshall Rosenberg) : là je trouve qu’on met un beau mur en parlant de violence quand il existe des mots plus sympas, comme communication bienveillante, empathique. J’te parle même pas du fait qu’on sous-entend clairement que ce qui est pas de la CNV est violent.

La CNV pour manipuler ?

Comme tout outil de communication, la CNV peut être utilisée pour manipuler. Sauf que c’est rare qu’on te mette en garde là-dessus.

On peut très facilement s’en servir pour faire culpabiliser l’autre. C’est d’ailleurs bien pratique pour faire du gaslighting (faire en sorte qu’une victime doute de son propre récit, en gros) : “C’est toi qui te mets en colère, ta colère t’appartient, j’ai seulement exprimé mon avis sur ton travail que je trouve vraiment nul, c’était important pour moi de m’exprimer”.

Même sans avoir l’intention d’être malveillant, on peut facilement dire des choses pas sympas avec la CNV. Sous prétexte d’exprimer ses émotions, on en fait trop souvent porter le poids à l’autre, voire on lui demande même de modifier son comportement pour soi. Quand l’autre est pas formé, c’est vite déstabilisant et difficile à encaisser.

Ah non, c’est pas vrai, c’est parce que c’est mal utilisé !

Oui mais non. Soit c’est une méthode simple, universelle, applicable dans toutes les situations, avec tout le monde, soit ça l’est pas. Si y’a tant de personnes qui l’utilisent mal, c’est peut-être parce qu’elle nécessite de suivre beaucoup beaucoup d’heures de formation, et donc qu’elle est un peu plus complexe que ce qu’on dit.

C'est violent.

J’ai parlé à quelques personnes qui vivent avec des proches formés à la CNV. Leur retour ? C’est super violent. Leurs proches balancent des trucs de façon brutale, directe. J’dis pas que c’est mal, je suis pour la franchise, je pense que la société se porterait mieux dans son ensemble si on était plus authentiques, mais je prétendrai pas que c’est pas violent. Ça l’est pour beaucoup de personnes.

En plus, c’est pas mal intrusif. Tout le monde n’a pas forcément envie d’être analysé, ni de voir ses besoins profonds étalés sur la place publique. Les gens ne rentrent pas tous dans les mêmes cases prédéfinies et je trouve ça drôlement intrusif de vouloir deviner ce que vit et veut l’autre. Ça peut fonctionner dans une relation intime, mais dans le quotidien ? Nope. Et on peut tellement se tromper : on passe (trop) facilement d’une hypothèse à une affirmation.

Mais c’est parce que c’est mal utilisé !

Ouaip, mais retour à mon argument précèdent : c’est une méthode complexe facilement dévoyée, encore plus parce qu’elle est présentée comme simple et accessible à toutes.

Vers une aseptisation des relations ?

J’ai reçu le témoignage d’une femme qui a assisté à un débat 100% CNV, elle s’est sentie oppressée. Le groupe était réuni pour une cause commune et devait prendre une décision. Sauf que quand tout le monde efface son ego pour laisser la place à tout le monde, y’a plus personne pour prendre une décision difficile ou tranchée. On passe dans une hyper cohésion de groupe, où on pense tous la même chose pour ne surtout pas briser le groupe : les décisions deviennent toutes molles voire carrément mauvaises.

Je t’avoue qu’imaginer une société où tout le monde de la CNV, ça me crispe un peu : je vois un monde de Bisounours dans lequel tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Mais c’est parce que c’est mal utilisé !

Hop, retour à mon argument de “c’est bien plus complexe que ce qu’on veut te faire croire”. Ce qui explique que le monde de Bisounours est en contradiction avec la franchise et l’authenticité décrite plus haut : autant on va avoir des personnes qui vont se servir de la CNV pour être un peu trop directes, autant on va avoir des personnes qui sont dans le consensus perpétuel. Parce que c’est trop souvent mal utilisé.

C'est ta faute à toi si ta vie elle est pourrie.

La CNV et bien d’autres approches de développement personnel ont tendance à tout ramener à l’individu, comme si tout était de sa responsabilité. Oui mais non. L’infirmière qui travaille en hôpital public dans des conditions terribles est responsable de sa colère, mais purée de purée, le problème il est vraiment chez elle ? La solution, c’est vraiment qu’elle apaise sa colère ? « Le burn-out est avant tout un manque d’écoute de notre fatigue, de notre anxiété, de notre éloignement de nous-même » (Thomas d’Ansembourg, cité dans cet article) : ben oui tiens, donc c’est bien la faute de cette infirmière si elle se sent mal, rien à voir avec des horaires pas possibles ni avec un manque de personnel, ni avec un salaire au ras des pâquerettes.

Oui mais, c’est parce que ça a été mal compris.

Mouais. Si tu le dis.

Un truc, drôle : Marshall Rosenberg comparait la girafe, qui est l’animal terrestre avec le plus grand cœur, donc notre Moi naturel, et le chacal, qui est le mode habituel, dans la critique, le jugement, la binarité. Hum. D’un côté on a un animal herbivore, au grand cœur, de l’autre un carnivore, qui tue pour se nourrir et qui en plus en français a un sens hyper péjoratif, mais sinon le naturel de l’être humain c’est la non binarité, hein ?

Non mais là, tu vois les choses avec ton regard de chacal, c’est pour ça que ça te parait binaire.

Ah, le fameux “soit j’ai raison, soit tu as tort”.

Un robot ?

Je termine ma longue critique en disant que la CNV conduit souvent à un comportement de robot. Qui est connu pour manquer d’empathie ? Ben, les robots. Parce qu’à vouloir appliquer une méthode artificielle et complexe, on manque un peu d’énergie pour être réellement en empathie.

Mais c’est parce que c’est mal utilisé !

Peut-être, mais peut-être aussi que c’est une méthode pas si universellement applicable que ce qu’on te dit. Peut-être qu’il faudrait arrêter d’être dans une acceptation inconditionnelle de la CNV et prendre un peu de recul dessus. Peut-être arrêter de penser que c’est une méthode absolue pour résoudre tout conflit. Peut-être réaliser que la CNV est une méthode complexe (6 jours de formation pour avoir les bases, le double pour assimiler les essentiels, d’après l’association AFFCNV) qui est parfois très mal utilisée, comme n’importe quel outil.

Tout est bon à jeter ?

Bon, t’auras compris, j’aime pas la CNV. Mais est-ce que je pense qu’il faut la jeter avec la poubelle avec une #joliecitrouille ? Nope. Y’a de bonnes choses dedans :

  • parler en “je” : oui, mais sans dire “le “tu” tue”. Effectivement, c’est souvent mieux de prendre ses responsabilités et dire “je suis en colère” plutôt que “tu me mets en colère”. Mais essaie pas de supprimer le “tu” à tout prix.
  • exprimer ce que l’on veut plutôt que ce qu’on veut pas : tu préfères entendre quoi, “tu m’as pas fait de câlin en te couchant” ou “j’aimerais que tu me fasses un câlin quand tu viens te coucher” ? De manière générale, on fait des reproches au lieu de dire ce qu’on veut, et ça c’est bien dommage.
  • écouter l’autre : l’écouter réellement, être en vrai empathie, quand c’est approprié. Ca l’est pas toujours.
  • présenter des faits : croire que l’on peut être 100% objectif est illusoire, mais on peut essayer. Je trouve que dire “tu es arrivée en retard de 30 min 2 fois cette semaine” c’est vachement mieux que “tu es toujours en retard !”

Aujourd’hui, je préfère donner des outils de base de la com, comme la liste au-dessus et aussi des outils pour couper court aux conversations qui tournent mal, comme la technique du disque rayé découverte dans « S’affirmer et communiquer » de Jean-Marie Boisvert et Madeleine Beaudry. Je prétends pas que ces outils sont parfaits : au contraire, j’ai conscience que mal utilisés ils peuvent être néfastes. Donc je m’efforce de les transmettre avec des mises en garde.

Ma conclusion, c’est sois proactive. Prends du recul sur ces belles approches, pose toi des questions, fais le tri. Prends pas mes arguments pour argent comptant : est-ce qu’ils te parlent ? Est-ce que j’exagère ? Je suis ouverte à la discussion.

Pour préparer cet article, je me suis inspirée de mon expérience, de celle de plusieurs personnes, d’un collègue psychologue du travail qui n’aime pas du tout la CNV et de cet article qui la décortique bien.

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